L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°1500)

Chapitre VIII

Ce fut à cette époque seulement que Claude eut l'idée d'épouser Christine. Tout en cédant aux conseils de Sandoz, qui s'étonnait d'une irrégularité inutile, il obéit surtout à un sentiment de pitié, au besoin de se montrer bon pour elle et de se faire ainsi pardonner ses torts. Depuis quelque temps, il la voyait si triste, si inquiète de l'avenir, qu'il ne savait de quelle joie l'égayer. Lui-même s'aigrissait, retombait dans ses anciennes colères, la traitait parfois en servante à qui l'on donne ses huit jours. Sans doute, d'être sa femme légitime, elle se sentirait plus chez elle et souffrirait moins de ses brusqueries. Du reste, elle n'avait pas reparlé de mariage, comme détachée du monde, d'une discrétion qui s'en remettait à lui seul ; mais il comprenait qu'elle se chagrinait de n'être pas reçue chez Sandoz ; et, d'autre part, ce n'était plus la liberté ni la solitude de la campagne, c'était Paris, avec les mille méchancetés du voisinage, des liaisons forcées,tout ce qui blesse une femme vivant chez un homme. Lui, au fond, n'avait contre le mariage que ses anciennes préventions d'artiste débridé dans la vie. Puisqu'il ne devait jamais la quitter, pourquoi ne pas lui faire ce plaisir ? Et, en effet, quand il lui en parla, elle eut un grand cri, elle se jeta à son cou, surprise elle-même d'en éprouver une si grosse émotion. Pendant une semaine, elle en fut profondément heureuse. Ensuite, cela se calma, longtemps avant la cérémonie.

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