L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°1584)

Chapitre IX

Bientôt, Claude ne vécut plus que pour son tableau. Il avait meublé le grand atelier sommairement : des chaises, son ancien divan du quai de Bourbon, une table de sapin,payée cent sous chez une fripière. La vanité d'une installation luxueuse lui manquait, dans la pratique de son art. Sa seule dépense fut une échelle roulante, à plate-forme et à marchepied mobile. Ensuite, il s'occupa de sa toile, qu'il voulait longue de huit mètres, haute de cinq ; et il s'entêta à la préparer lui-même, commanda le châssis, acheta la toile sans couture, que deux camarades et lui eurent toutes les peines du monde à tendre avec des tenailles ; puis, il se contenta de la couvrir au couteau d'une couche de céruse, refusant de la coller, pour qu'elle restât absorbante, ce qui, disait-il, rendait la peinture claire et solide. Il ne fallait pas songer à un chevalet, on n'aurait pu y manœuvrer une telle pièce. Aussi imagine-t-il un système de madriers et de cordes, qui la tenait contre le mur, un peu penchée, sous un jour frisant. Et, le long de cette vaste nappe blanche, l'échelle roulait : c'était toute une construction, une charpente de cathédrale, devant l'œuvre à bâtir.

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