L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°1608)

Chapitre IX

Souvent, déjà, pour camper les petites figures de ses derniers tableaux, Claude avait pris d'après Christine des indications, une tête, un geste des bras, une allure du corps. Il lui jetait un manteau aux épaules, il la saisissait dans un mouvement et lui criait de ne plus bouger. C'étaient des services qu'elle se montrait heureuse de lui rendre, répugnant pourtant à se dévêtir, blessée de ce métier de modèle, maintenant qu'elle était sa femme. Un jour qu'il avait besoin de l'attache d'une cuisse, elle refusa, puis consentit à retrousser sa robe, honteuse, après avoir fermé la porte à double tour, de peur que, sachant le rôle où elle descendait, on ne la cherchât nue dans tous les tableaux de son mari. Elle entendait encore les rires insultants des camarades et de Claude lui-même, leurs plaisanteries grasses, lorsqu'ils parlaient des toiles d'un peintre qui se servait ainsi uniquement de sa femme, d'aimables nudités proprement léchées pour les bourgeois, et dans lesquelles on la retrouvait sous toutes les faces, avec des particularités bien connues, la chute des reins un peu longue, le ventre trop haut : ce qui la promenait sans chemise au travers de Paris goguenard, quand elle passait habillée, cuirassée, serrée jusqu'aumenton par des robes sombres, qu'elle portait justement très montantes.

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