L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°1641)

Chapitre IX

Mais, dès le lendemain, Christine dut se remettre nue, dans l'air glacé, sous la lumière brutale. N'était-cepas son métier, désormais ? Comment se refuser, à présent que l'habitude en était prise ? Jamais elle n'aurait causé un chagrin à Claude ; et elle recommençait chaque jour cette défaite de son corps. Lui, n'en parlait même plus, de ce corps brûlant et humilié. Sa passion de la chair s'était reportée dans son œuvre, sur les amantes peintes qu'il se donnait. Elles faisaient seules battre son sang, celles dont chaque membre naissait d'un de ses efforts. Là-bas, à la campagne, lors de son grand amour, s'il avait cru tenir le bonheur, en en possédant une enfin, vivante, à pleins bras, ce n'était encore que l'éternelle illusion, puisqu'ils étaient restés quand même étrangers ; et il préférait l'illusion de son art, cette poursuite à la beauté jamais atteinte, ce désir fou que rien ne contentait. Ah ! les vouloir toutes, les créer selon son rêve, des gorges de satin, des hanches couleur d'ambre, des ventres douillets de vierges, et ne les aimer que pour les beaux tons, et les sentir qui fuyaient, sans pouvoir les étreindre ! Christine était la réalité, le but que la main atteignait, et Claude en avait eu le dégoût en une saison, lui le soldat de l'incréé, ainsi que Sandoz l'appelait parfois en riant.

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