L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°1952)

Chapitre X

De la main, au travers des salles, il désignait des toiles. En effet, le coup de clarté, peu à peu introduit dans la peinture contemporaine, éclatait enfin. L'ancien Salon noir, cuisiné au bitume, avait fait place à un Salon ensoleillé, d'une gaieté de printemps. C'était l'aube, le jour nouveau qui avait pointé jadis au Salon des refusés, et qui, à cette heure, grandissait, rajeunissant les œuvres d'une lumière fine, diffuse, décomposée en nuancesinfinies. Partout, ce bleuissement se retrouvait, jusque dans les portraits et dans les scènes de genre, haussées aux dimensions et au sérieux de l'histoire. Eux aussi, les vieux sujets académiques, s'en étaient allés, avec les jus recuits de la tradition, comme si la doctrine condamnée emportait son peuple d'ombres ; les imaginations devenaient rares, les cadavéreuses nudités des mythologies et du catholicisme, les légendes sans foi, les anecdotes sans vie, le bric-à-brac de l'Ecole, usé par des générations de malins ou d'imbéciles ; et, chez les attardés des antiques recettes, même chez les maîtres vieillis, l'influence était évidente, le coup de soleil avait passé là. De loin, à chaque pas, on voyait un tableau trouer le mur, ouvrir une fenêtre sur le dehors. Bientôt, les murs tomberaient, la grande nature entrerait, car la brèche était large, l'assaut avait emporté la routine, dans cette gaie bataille de témérité et de jeunesse.

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