L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°2025)

Chapitre X

C'était l'étouffement embrasé de cinq heures, lorsque la cohue, épuisée de tourner le long des salles, saisie du vertige des troupeaux lâchés dans un parc, s'effare et s'écrase, sans trouver la sortie. Depuis le petit froid du matin, la chaleur des corps, l'odeur des haleines avaient alourdi l'air d'une vapeur rousse ; et la poussière des parquets, volante, montait en un fin brouillard, dans cette exhalaison de litière humaine. Des gens s'emmenaient encore devant des tableaux, dont les sujets seuls frappaient et retenaient le public. On s'en allait, on revenait, on piétinait sans fin. Les femmes surtout s'entêtaient à ne pas lâcher pied, à en être jusqu'au moment où les gardiens les pousseraient dehors, dès le premier coup de six heures. De grosses dames s'étaient échouées. D'autres, n'ayant pas découvert le moindre petit coin pour s'asseoir, s'appuyaient fortement sur leurs ombrelles, défaillantes, obstinées quand même. Tous les yeux, inquiets et suppliants, guettaient les banquetteschargées de monde. Et il n'y avait plus, flagellant ces milliers de têtes, que ce dernier coup de la fatigue, qui délabrait les jambes, tirait la face, ravageait le front de migraine, cette migraine spéciale des Salons, faite de la cassure continuelle de la nuque et de la danse aveuglante des couleurs.

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