L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°2049)

Chapitre XI

Ce jour-là, comme ils étaient descendus à la porte de Clignancourt, où se tenait une fête perpétuelle, des chevaux de bois, des tirs, des guinguettes, ils eurent la stupeur de se trouver brusquement en face de Chaîne, trônant au milieu d'une vaste et riche baraque. C'était une sorte de chapelle très ornée : quatre jeux de tournevire s'y alignaient, des ronds chargés de porcelaine, de verreries, de bibelots dont le vernis et les dorures luisaient dans un éclair, avec des tintements d'harmonica, quand la main d'un joueur lançait le plateau, qui grinçait contre la plume ; même un lapin vivant, le gros lot, noué de faveurs roses, valsait, tournait sans fin, ivre d'épouvante. Et ces richesses s'encadraient dans des tentures rouges, des lambrequins, des rideaux, entre lesquels, au fond de la boutique, comme au saint des saints d'un tabernacle, onvoyait pendus trois tableaux, les trois chefs-d'œuvre de Chaîne, qui le suivaient de foire en foire, d'un bout à l'autre de Paris : la Femme adultère au centre, la copie du Mantegna à gauche, le poêle de Mahoudeau à droite. Le soir, quand les lampes à pétrole flambaient, que les tournevires ronflaient et rayonnaient comme des astres, rien n'était plus beau que ces peintures, dans la pourpre saignante des étoffes ; et le peuple béant s'attroupait.

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