L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°2068)

Chapitre XI

A quelque temps de là, vers le milieu d'août, Sandoz imagina la distraction d'un vrai voyage, toute une partie qui devait leur prendre une journée entière. Il avait rencontré Dubuche, un Dubuche ravagé, morne, qui s'était montré plaintif et affectueux, remuant le passé, invitant ses deux vieux camarades à déjeuner à La Richaudière, où il se trouvait seul pour quinze jours encore, avec ses deux enfants. Pourquoi n'irait-on pas le surprendre, puisqu'il semblait si désireux de renouer ? Mais Sandoz répétait en vain qu'il lui avait fait jurer d'amener Claude, celui-ci refusait obstinément, comme s'il était saisi de peur, à l'idée de revoir Bennecourt, la Seine, les îles, toute cette campagne où des années heureuses étaient défuntes et ensevelies. Il fallut que Christine s'en mêlât, et il finit par céder, plein de répugnance. Justement, la veille du jour convenu, il avait travaillé très tard à son tableau, repris de fièvre. Aussi, le matin, un dimanche, dévoré de l'envie de peindre, s'en alla-t-il avec peine, dans une sorte d'arrachement douloureux. A quoi bon retourner là-bas ? C'était mort, ça n'existait plus. Rien n'existait que Paris, et encore, dans Paris, il n'existait qu'un horizon, la pointe de la Cité, cettevision qui le hantait toujours et partout, ce coin unique où il laissait son cœur.

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