L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°2269)

Chapitre XII

Eh bien ! non, je ne te foutrai pas la paix !... En voilà assez, je te dirai ce qui m'étouffe, ce qui me tue, depuis que je te connais... Ah ! cette peinture, oui ! ta peinture, c'est elle, l'assassine, qui a empoisonné ma vie. Je l'avais pressenti, le premier jour ; j'en avais eu peur comme d'un monstre, je la trouvais abominable, exécrable ; et puis, on est lâche, je t'aimais trop pour ne pas l'aimer, j'ai fini par m'y faire à cette criminelle... Mais, plus tard, que j'en ai souffert, comme elle m'a torturée ! En dix ans, je ne me souviens pas d'avoir vécu une journée sans larmes... Non, laisse-moi, je me soulage, il faut que je parle, puisque j'en ai trouvé la force... Dix années d'abandon, d'écrasement quotidien ;ne plus rien être pour toi, se sentir de plus en plus jetée à l'écart, en arriver à un rôle de servante ; et l'autre, la voleuse, la voir s'installer entre toi et moi, et te prendre, et triompher, et m'insulter... Car ose donc dire qu'elle ne t'a pas envahi membre à membre, le cerveau, le cœur, la chair, tout ! Elle te tient comme un vice, elle te mange. Enfin, elle est ta femme, n'est-ce pas ? Ce n'est plus moi, c'est elle qui couche avec toi... Ah, maudite ! ah, gueuse !

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