L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°2310)

Chapitre XII

Christine et Claude, à tâtons, avaient roulé en travers du lit. Ce fut une rage, jamais ils n'avaient connu un emportement pareil, même aux premiers jours de leur liaison. Tout ce passé leur remontait au cœur, mais dans un renouveau aigu qui les grisait d'une ivresse délirante.L'obscurité flambait autour d'eux, ils s'en allaient sur des ailes de flamme, très haut, hors du monde, à grands coups réguliers, continus, toujours plus haut. Lui-même poussait des cris, loin de sa misère, oubliant, renaissant à une vie de félicité. Elle le fit blasphémer ensuite, provocante, dominatrice, avec un rire d'orgueil sensuel. " Dis que la peinture est imbécile. - La peinture est imbécile. - Dis que tu ne travailleras plus, que tu t'en moques, que tu brûleras tes tableaux, pour me faire plaisir. - Je brûlerai mes tableaux, je ne travaillerai plus. - Et dis qu'il n'y a que moi, que de me tenir là, comme tu me tiens, est le bonheur unique, que tu craches sur l'autre, cette gueuse que tu as peinte. Crache, crache donc, que je t'entende ! - Tiens ! je crache, il n'y a que toi. " Et elle le serrait à l'étouffer, c'était elle qui le possédait. Ils repartirent, dans le vertige de leur chevauchée à travers les étoiles. Leurs ravissements recommençaient, trois fois il leur sembla qu'ils volaient de la terre au bout du ciel. Quel grand bonheur ! comment n'avait-il pas songé à se guérir dans ce bonheur certain ? Et elle se donnait encore, et il vivrait heureux, sauvé, n'est-ce pas ? maintenant qu'il avait cette ivresse.

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