L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°369)

Chapitre III

Claude, en entrant dans cette rue étroite, éprouva une sensation de fraîcheur. La journée devenait très chaude,et une humidité montait du pavé, qui, malgré le ciel pur, restait mouillé et gras, sous le continuel piétinement des passants. A chaque minute, des camions, des tapissières manquaient de l'écraser, lorsqu'une bousculade le forçait à quitter le trottoir. Pourtant, la rue l'amusait, avec la débandade mal alignée de ses maisons, des façades plates, bariolées d'enseignes jusqu'aux gouttières, trouées de minces fenêtres, où l'on entendait bruire tous les métiers en chambre de Paris. A un des passages les plus étranglés, une petite boutique de journaux le retint : c'était, entre un coiffeur et un tripier, un étalage de gravures imbéciles, des suavités de romance mêlées à des ordures de corps de garde. Plantés devant les images, un grand garçon pâle rêvait, deux gamines se poussaient en ricanant. Il les aurait giflés tous les trois, il se hâta de traverser la rue, car la maison de Fagerolles se trouvait juste en face, une vieille demeure sombre qui avançait sur les autres, mouchetée des éclaboussures boueuses du ruisseau. Et, comme un omnibus arrivait, il n'eut que le temps de sauter sur le trottoir, réduit là à une simple bordure : les roues lui frôlèrent la poitrine, il fut inondé jusqu'aux genoux.

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