L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°456)

Chapitre III

On n'en parla plus. Tous quatre, flânant, semblaient tenir la largeur du boulevard des Invalides. C'était l'expansion habituelle, la bande peu à peu accrue des camarades racolés en chemin, la marche libre d'une horde partie en guerre. Ces gaillards, avec la belle carrure de leurs vingt ans, prenaient possession du pavé. Dès qu'ils se trouvaient ensemble, des fanfares sonnaient devant eux, ils empoignaient Paris d'une main et le mettaient tranquillement dans leurs poches. La victoire ne faisait plus un doute, ils promenaient leurs vieilles chaussures et leurs paletots fatigués, dédaigneux de ces misères, n'ayant du reste qu'à vouloir pour être les maîtres. Et cela n'allait point sans un immense mépris de tout ce qui n'était pas leur art, le mépris de la fortune, le mépris du monde, le mépris de la politique surtout. A quoi bon, ces saletés-là ? Il n'y avait que des gâteux, là-dedans ! Une injustice superbe les soulevait, une ignorance voulue des nécessités de la vie sociale, le rêve fou de n'être que des artistes sur la terre. Ils en étaient stupides parfois, mais cette passion les rendait braves et forts.

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