L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°535)

Chapitre III

C'étaient les bonnes soirées de Sandoz. Même aux heures de misère, il avait toujours eu un pot-au-feu à partager avec les camarades. Cela l'enchantait, d'être en bande, tous amis, tous vivant de la même idée. Bien qu'il fût de leur âge, une paternité l'épanouissait, une bonhomie heureuse, quand il les voyait chez lui, autour de lui, la main dans la main, ivres d'espoir. Comme il n'avait qu'une pièce, sa chambre à coucher était à eux ; et, la place manquant, deux ou trois devaient s'asseoir sur le lit. Par ces chaudes soirées d'été, la fenêtre restait ouverte au grand air du dehors, on apercevait dans la nuit claire deux silhouettes noires, dominant les maisons, la tour de Saint-Jacques du Haut-Pas et l'arbre des Sourds-Muets. Les jours de richesse, il y avait de la bière. Chacun apportait son tabac, la chambre s'emplissait vite de fumée, on finissait par causer sans se voir, très tard dans la nuit, au milieu du grand silence mélancolique de ce quartier perdu.

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