L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°641)

Chapitre IV

Deux nouveaux mois se passèrent. Claude, les premiers jours, au moindre bruit, le matin, lorsque madame Joseph lui apportait son déjeuner ou des lettres, tournait vivement la tête, avait un geste involontaire de désappointement. Il ne sortait plus avant quatre heures, et la concierge lui ayant dit, un soir, comme il rentrait, qu'une jeune fille était venue le demander vers cinq heures, il ne s'était calmé qu'en reconnaissant un modèle, Zoé Piédefer, dans la visiteuse. Puis, les jours suivant les jours, il avait eu une crise furieuse de travail, inabordable pour tous, d'une violence de théories telle, que ses amis eux-mêmes n'osaient le contrarier. Il balayait le monde d'un geste, il n'y avait plus que la peinture, on devait égorger les parents, les camarades, les femmes surtout ! De cette fièvre chaude, il était tombé dans un abominable désespoir, une semaine d'impuissance et de doute, toute une semaine de torture à se croire frappé de stupidité. Et il se remettait, il avait repris son train habituel, sa lutte résignée et solitaire contre son tableau, lorsque, par une matinée brumeuse de la fin d'octobre, il tressaillit et posa rapidement sa palette. On n'avait pas frappé, mais il venait de reconnaître un pas qui montait. Il ouvrit, et elle entra. C'était elle enfin.

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