L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°727)

Chapitre IV

Des jours s'écoulèrent ; et, entre eux, l'idée fixe grandissait. Dès qu'ils se trouvaient ensemble, ils ne pouvaient plus ne pas y penser. Ils n'en ouvraient point la bouche, mais leurs silences en étaient pleins ; ils ne risquaient plus un geste, ils n'échangeaient plus un sourire, sans retrouver au fond cette chose impossible à dire tout haut, et dont ils débordaient. Bientôt, rien autre ne resta dans leur vie de camarades. S'il la regardait, elle croyait se sentir déshabillée par son regard ; les mots innocents retentissaient en significations gênantes ; chaque poignée de main allait au-delà du poignet, faisait couler un léger frisson le long du corps. Et ce qu'ils avaient évité jusque-là, le trouble de leur liaison, l'éveil de l'homme et de la femme dans leur bonne amitié, éclatait enfin, sous l'évocation constante de cette nudité de vierge. Peu à peu, ils se découvraient une fièvre secrète, ignorée d'eux-mêmes. Des chaleurs leur montaient aux joues, ils rougissaient pour s'être frôlés du doigt. C'était désormais comme une excitation de chaque minute, fouettant leur sang ; tandis que, dans cet envahissement de tout leur être, le tourment de ce qu'ilstaisaient ainsi, sans pouvoir se le cacher, s'exagérait au point qu'ils en étouffaient, la poitrine gonflée de grands soupirs.

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