L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°87)

Chapitre I

Il s'était courbé sur son dessin, il ne lui jetait plus que ces clairs regards du peintre, pour qui la femme a disparu, et qui ne voit que le modèle. D'abord, elle était redevenue rose, la sensation de son bras nu, de ce peu d'elle-même qu'elle aurait montré ingénument dans un bal, l'emplissait là de confusion. Puis, ce garçon lui parut si raisonnable, qu'elle se tranquillisa, les joues refroidies, la bouche détendue en un vague sourire de confiance. Et, entre ses paupières demi-closes, elle l'étudiait à son tour. Comme il l'avait terrifiée depuis la veille, avec sa forte barbe, sa grosse tête, ses gestes emportés ! Il n'était pas laid pourtant, elle découvrait au fond de ses yeux bruns une grande tendresse, tandis que son nez la surprenait, lui aussi, un nez délicat de femme, perdu dans les poils hérissés des lèvres. Un petit tremblement d'inquiétudenerveuse le secouait, une continuelle passion qui semblait faire vivre le crayon au bout de ses doigts minces, et dont elle était très touchée, sans savoir pourquoi. Ce ne pouvait être un méchant, il ne devait avoir que la brutalité des timides. Tout cela, elle ne l'analysait pas très bien, mais elle le sentait, elle se mettait à l'aise, comme chez un ami.

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