La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°1020)

Chapitre VI

Seulement, lorsque, au bout d'un mois, il fut là, installé, la séparation s'aggrava entre les Roubaud. La femme, de plus en plus, se plaisait au lit toute seule, s'arrangeait pour s'y rencontrer le moins possible avec son mari ; et ce dernier, si ardent, si brutal aux premiers temps du mariage, ne faisait rien pour l'y retenir. Il l'avait aimée sans délicatesse, elle s'y était résignée avec sa soumission de femme complaisante, pensant que les choses devaient être ainsi, n'y goûtant du reste aucun plaisir. Mais, depuis le crime, cela, sans qu'elle sût pourquoi, lui répugnait beaucoup. Elle en était énervée, effrayée. Un soir, comme la bougie n'était pas éteinte, elle cria : sur elle, dans cette face rouge, convulsée, elleavait cru revoir la face de l'assassin ; et, dès lors, elle trembla chaque fois, elle eut l'horrible sensation du meurtre, comme s'il l'eût renversée, un couteau au poing. C'était fou, mais son cœur battait d'épouvante. De moins en moins, d'ailleurs, il abusait d'elle, la sentant trop rétive pour s'y plaire. Une fatigue, une indifférence, ce que l'âge amène, il semblait que la crise affreuse, le sang répandu, l'eût produit entre eux. Les nuits où ils ne pouvaient éviter le lit commun, ils se tenaient aux deux bords. Et Jacques, certainement, aidait à consommer ce divorce, en les tirant par sa présence de l'obsession où ils étaient d'eux-mêmes. Il les délivrait l'un de l'autre.

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