La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°1109)

Chapitre VI

D'ailleurs, comme par un contrecoup fatal, tout se gâtait de même autour des Roubaud. Une nouvelle bourrasque de commérages et de discussions soufflait dans le couloir. Philomène venait de rompre violemment avec madame Lebleu, à la suite d'une calomnie de cette dernière, qui l'accusait de lui avoir vendu une poule, morte de maladie. Mais la vraie raison de la rupture était dans un rapprochement de Philomène et de Séverine. Pecqueux ayant, une nuit, reconnu celle-ci au bras deJacques, elle avait fait taire ses scrupules d'autrefois, elle s'était montrée aimable pour la maîtresse du chauffeur ; et Philomène, très flattée de cette liaison avec une dame qui était la beauté et la distinction sans conteste de la gare, venait de se retourner contre la femme du caissier, cette vieille gueuse, disait-elle, capable de faire battre les montagnes. Elle lui donnait tous les torts, elle criait partout, à cette heure, que le logement sur la rue appartenait aux Roubaud, que c'était une abomination de ne pas le leur rendre. Les choses commençaient donc à tourner très mal pour madame Lebleu, d'autant plus que son acharnement à guetter mademoiselle Guichon, afin de la surprendre avec le chef de gare, menaçait aussi de lui causer des ennuis sérieux : elle ne les surprenait toujours pas, mais elle avait le tort de se laisser surprendre, elle, l'oreille tendue, collée aux portes ; si bien que monsieur Dabadie, exaspéré d'être ainsi espionné, avait dit au sous-chef Moulin que, si Roubaud réclamait encore le logement, il était prêt à contresigner la lettre. Et, Moulin, peu bavard d'habitude, ayant répété cela, on avait failli se battre de porte en porte, d'un bout du couloir à l'autre, tellement les passions s'étaient rallumées.

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