La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°1152)

Chapitre VII

On traversa Bolbec, puis Yvetot, sans encombre. Mais, à Motteville, Jacques, de nouveau, interpella le sous-chef, qui ne put lui donner des renseignementsprécis sur l'état de la voie. Aucun train n'était encore venu, une dépêche annonçait simplement que l'omnibus de Paris se trouvait bloqué à Rouen, en sûreté. Et la Lison repartit, descendant de son allure alourdie et lasse les trois lieues de pente douce qui vont à Barentin. Maintenant, le jour se levait, très pâle ; et il semblait que cette lueur livide vînt de la neige elle-même. Elle tombait plus dense, ainsi qu'une chute d'aube brouillée et froide, noyant la terre des débris du ciel. Avec le jour grandissant, le vent redoublait de violence, les flocons étaient chassés comme des balles, il fallait qu'à chaque instant le chauffeur prît sa pelle, pour déblayer le charbon, au fond du tender, entre les parois du récipient d'eau. A droite et à gauche, la campagne apparaissait, à ce point méconnaissable, que les deux hommes avaient la sensation de fuir dans un rêve : les vastes champs plats, les gras pâturages clos de haies vives, les cours plantées de pommiers n'étaient plus qu'une mer blanche, à peine renflée de courtes vagues, une immensité blême et tremblante, où tout défaillait, dans cette blancheur. Et le mécanicien, debout, la face coupée par les rafales, la main sur le volant, commençait à souffrir terriblement du froid.

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