La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°1467)

Chapitre VIII

Mais, à la station du Trocadéro, un employé monta, qui, le connaissant, se mit à lui parler du service, d'un vol de charbon dont on venait de convaincre un mécanicien et son chauffeur. Et, à partir de ce moment, tout se brouilla, il ne put jamais, plus tard, rétablir les faits,exactement. Les rires avaient continué, un rayonnement de bonheur tel, qu'il en était comme pénétré et assoupi. Peut-être était-il allé jusqu'à Auteuil, avec les deux femmes ; seulement, il ne se rappelait pas qu'elles y fussent descendues. Lui-même avait fini par se trouver au bord de la Seine, sans s'expliquer comment. Ce dont il gardait la sensation très nette, c'était d'avoir jeté, du haut de la berge, le couteau, resté dans sa manche, à son poing. Puis, il ne savait plus, hébété, absent de son être, d'où l'autre s'en était allé aussi, avec le couteau. Il devait avoir marché pendant des heures, par les rues et les places, au hasard de son corps. Des gens, des maisons, défilaient, très pâles. Sans doute à était entré quelque part, manger au fond d'une salle pleine de monde, car il revoyait distinctement des assiettes blanches. Il avait aussi l'impression persistante d'une affiche rouge, sur une boutique fermée. Et tout sombrait ensuite à un gouffre noir, à un néant, où il n'y avait plus ni temps ni espace, où il gisait inerte, depuis des siècles peut-être.

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