La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°1593)

Chapitre IX

Le jour naissait, lorsque Jacques parvint à s'assoupir, et d'une somnolence si légère, que le débat continuait confusément en lui, abominable. Les journées qui suivirent furent les plus douloureuses de son existence. Il évitait Séverine, il lui avait fait dire de ne pas se trouver au rendez-vous du samedi, craignant ses yeux. Mais, le lundi, il dut la revoir ; et, comme il le redoutait, ses grands yeux bleus, si doux, si profonds, l'emplirent d'angoisse. Elle ne parla pas de cela, elle n'eut pas un geste, pas une parole pour le pousser. Seulement, ses yeux n'étaient pleins que de la chose, l'interrogeaient, le suppliaient. Il ne savait comment en éviter l'impatience et le reproche, toujours il les retrouvait fixés sur les siens, avec l'étonnement qu'il pût hésiter à être heureux. Quand il la quitta, il l'embrassa, d'une étreinte brusque, pour lui faire entendre qu'il était résolu. Il l'était en effet, il le fut jusqu'au bas de l'escalier, retomba dans la lutte de sa conscience. Lorsqu'il la revit, le surlendemain, il avait la pâleur confuse, le regard furtif d'un lâche, qui recule devant un acte nécessaire. Elle éclata en sanglots, sans rien dire, pleurant à son cou, horriblement malheureuse ; et lui, bouleversé, débordait du mépris de lui-même. Il fallait en finir.

?>