La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°1618)

Chapitre IX

Et, à ce moment décisif, elle se jeta éperdument à son cou, elle colla sa bouche ardente contre la sienne. Ce fut un baiser de chair vive, prolongé, où elle aurait voulu lui donner de son sang. Comme elle l'aimait et comme elle exécrait l'autre ! Ah ! si elle avait osé, déjà vingt fois elle-même aurait fait la besogne, pour lui en éviter l'horreur ; mais ses mains défaillaient, elle se sentait trop douce, il fallait la poigne d'un homme. Et ce baiser qui n'en finissait pas, c'était tout ce qu'elle pouvait lui souffler deson courage, la possession pleine qu'elle lui promettait, la communion de son corps. Au loin, une machine sifflait, jetant à la nuit une plainte de mélancolique détresse ; à coups réguliers, on entendait un fracas, le choc d'un marteau géant, venu on ne savait d'où ; tandis que les brumes, montées de la mer, mettaient au ciel le défilé d'un chaos en marche, dont les déchirures errantes semblaient par moments éteindre les étincelles vives des becs de gaz. Lorsqu'elle ôta sa bouche enfin, elle n'avait plus rien à elle, tout entière elle crut être passée en lui.

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