La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°1791)

Chapitre XI

Dès le quatrième jour, Jacques put se lever et passer deux heures dans un fauteuil, devant la fenêtre. En se penchant un peu, il apercevait l'étroit jardin, que le chemin de fer avait coupé, clos d'un mur bas, envahi d'églantiers aux fleurs pâles. Et il se rappelait la nuit où il s'était haussé, pour regarder par-dessus le mur, il revoyait le terrain assez vaste, de l'autre côté de la maison, fermé seulement d'une haie vive, cette haie qu'il avait franchie, et derrière laquelle il s'était heurté à Flore, assise au seuil de la petite serre en ruine, en train de démêler des cordes volées, à coups de ciseaux. Ah ! l'abominable nuit, toute pleine de l'épouvante de son mal ! Cette Flore, avec sa taille haute et souple de guerrière blonde, ses yeux flambants, fixés droit dans les siens, l'obsédait, depuis que le souvenir lui revenait, de plus en plus net. D'abord, il n'avait pas ouvert la bouche de l'accident, et personne autour de lui n'en parlait, par prudence. Mais chaque détail se réveillait, il reconstruisait tout, il ne songeait qu'à cela, d'un effort si continu, que, maintenant, à lafenêtre, son occupation unique était de rechercher les traces, de guetter les acteurs de la catastrophe. Pourquoi donc ne la voyait-il plus, elle, à son poste de garde-barrière, le drapeau au poing ? Il n'osait poser la question, cela aggravait le malaise que lui causait cette maison lugubre, qui lui semblait toute peuplée de spectres.

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