La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°1923)

Chapitre XI

Embrasse-moi, mon chéri, pendant que nous avons une minute encore... Tu sais qu'il va être là. Maintenant, s'il a marché vite, d'une seconde à l'autre, il peut frapper... Puisque tu ne veux pas que nous descendions, rappelle-toi bien : moi, j'ouvrirai ; toi, tu seras derrière la porte ; et n'attends pas, tout de suite, oh ! tout de suite, pour en finir... Je t'aime tant, nous serons si heureux ! Lui, n'est qu'un mauvais homme qui m'a fait souffrir, qui est l'unique obstacle à notre bonheur... Embrasse-moi, oh ! si fort, si fort ! embrasse-moi comme si tu me mangeais, pour qu'il ne reste plus rien de moi en dehors de toi ! Jacques, sans se retourner, de sa main droite, tâtonnante en arrière, avait pris le couteau. Et, un instant, il resta ainsi, à le serrer dans son poing. Etait-ce sa soif qui était revenue, de venger des offenses très anciennes, dont il aurait perdu l'exacte mémoire, cette rancune amassée de mâle en mâle, depuis la première tromperie au fond des cavernes ? Il fixait sur Séverine ses yeux fous, il n'avait plus que le besoin de la jeter morte sur son dos, ainsi qu'une proie qu'on arrache aux autres. La porte d'épouvante s'ouvrait sur ce gouffre noir du sexe, l'amour jusque dans la mort, détruire pour posséder davantage.

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