La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°1948)

Chapitre XII

Maintenant, on se querellait pour un rien, pour un écrou trop serré, pour une pelletée de charbon mise de travers. Et il se promettait d'être prudent avec Philomène, ne voulant pas en arriver à une guerre ouverte, sur cet étroit plancher mouvant qui les emportait, lui et sonchauffeur. Tant que Pecqueux, par reconnaissance de n'être point bousculé, de pouvoir faire de petits sommes et d'achever les paniers de provisions, s'était fait son chien obéissant, dévoué jusqu'à étrangler le monde, tous deux avaient vécu en frères, silencieux dans le danger quotidien, n'ayant pas besoin de paroles pour s'entendre. Mais cela allait devenir un enfer, si l'on ne se convenait plus, toujours côte à côte, secoués ensemble, pendant qu'on se mangerait. Justement, la Compagnie avait dû, la semaine précédente, séparer le mécanicien et le chauffeur de l'express de Cherbourg, parce que, désunis à cause d'une femme, le premier brutalisait le second qui n'obéissait plus : des coups, de vraies batailles en route, dans l'oubli complet de la queue de voyageurs roulant derrière eux, à toute vitesse.

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