La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°2039)

Chapitre XII

Dans tout Rouen, le soir même, on parlait de cette condamnation, avec des commentaires sans fin. Selon l'avis général, c'était un échec pour madame Bonnehon et pour les Lachesnaye. Une condamnation à mort, seule, semblait-il, aurait satisfait la famille ; et, sûrement, desinfluences adverses avaient agi. Déjà, on nommait tout bas madame Leboucq, qui comptait parmi les jurés trois ou quatre de ses fidèles. L'attitude de son mari, comme assesseur, n'avait sans doute rien offert d'incorrect ; pourtant, on croyait s'être aperçu que, ni l'autre assesseur, monsieur Chaumette, ni même le président, monsieur Desbazeilles, ne s'étaient sentis les maîtres des débats, autant qu'ils l'auraient voulu. Peut-être, simplement, le jury, pris de scrupules, venait-il, en accordant des circonstances atténuantes, de céder au malaise de ce doute qui avait un moment traversé la salle, le vol silencieux de la mélancolique vérité. Au demeurant, l'affaire restait le triomphe du juge d'instruction, monsieur Denizet, dont rien n'avait pu entamer le chef-d'œuvre ; car la famille elle-même perdit beaucoup de sympathies, lorsque le bruit courut que, pour ravoir la Croix-de-Maufras, monsieur de Lachesnaye, contrairement à la jurisprudence, parlait d'intenter une action en révocation, malgré la mort du donataire, ce qui étonnait de la part d'un magistrat.

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