La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°2062)

Chapitre XII

Le soir, après le dîner, en attendant le train de minuit cinquante, Philomène voulut emmener Jacques, par des ruelles noires, jusqu'à la campagne prochaine. Il faisait très lourd, une nuit de juillet, ardente et sans lune, qui lui gonflait la gorge de gros soupirs, presque pendue à son cou. Deux fois, ayant cru entendre des pas derrière eux, elle s'était retournée, sans apercevoir personne, tant les ténèbres étaient épaisses. Lui, souffrait beaucoup de cette nuit d'orage. Dans son tranquille équilibre, cette santé parfaite dont il jouissait depuis le meurtre, il avait senti tout à l'heure, à table, un lointain malaise revenir, chaque fois que cette femme l'avait effleuré de ses mains errantes. La fatigue sans doute, un énervement causé par la pesanteur de l'air. Maintenant, l'angoisse du désir renaissait plus vive, pleine d'une sourde épouvante, à la tenir ainsi, contre son corps. Cependant, il était bien guéri, l'expérience était faite, puisqu'il l'avait déjàpossédée, la chair calme, pour se rendre compte. Son excitation devint telle, que la peur d'une crise l'aurait fait se dégager de ses bras, si l'ombre qui la noyait ne l'avait rassuré ; car jamais, même aux pires jours de son mal, il n'aurait frappé sans voir. Et, tout d'un coup, comme ils passaient près d'un talus gazonné, dans un chemin désert, et qu'elle l'y entraînait, s'allongeant, le besoin monstrueux le reprit, il fut emporté par une rage, il chercha parmi l'herbe une arme, une pierre, pour lui écraser la tête. D'une secousse, il s'était relevé, et il fuyait, déjà éperdu, et il entendit une voix d'homme, des jurons, toute une bataille.

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