La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°2069)

Chapitre XII

Ce soir-là, Pecqueux arriva au Dépôt très ivre. Le lendemain du jour où il avait surpris Philomène et Jacques, il était remonté sur la machine 608, comme chauffeur, avec ce dernier ; et, depuis ce temps, il ne faisait aucune allusion, assombri, ayant l'air de ne point oser regarder son chef. Mais celui-ci le sentait de plus en plus révolté, refusant d'obéir, l'accueillant d'un grognement sourd, dès qu'il lui donnait un ordre. Ils avaient fini par cesser complètement de se parler. Cette tôle mouvante, ce petit pont qui les emportait autrefois, si unis, n'était plus à cette heure que la planche étroite et dangereuse où se heurtait leur rivalité. La haine grandissait, ils en étaient à se dévorer dans ces quelques pieds carrés, filant à toute vitesse, et d'où les auraitprécipités la moindre secousse. Et, ce soir-là, en voyant Pecqueux ivre, Jacques se méfia ; car il le savait trop sournois pour se fâcher à jeun, le vin seul déchaînait en lui la brute.

?>