La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°389)

Chapitre III

Comme il sortait de chez lui, en haut, au-dessus des salles d'attente, Roubaud avait trouvé la femme du caissier, madame Lebleu, immobile au milieu du couloir central, sur lequel donnaient les logements des employés. Depuis des semaines, cette dame se relevait la nuit, pour guetter mademoiselle Guichon, la buraliste, qu'elle soupçonnait d'une intrigue avec le chef de gare, monsieur Dabadie. D'ailleurs, elle n'avait jamais surpris la moindre chose, pas une ombre, pas un souffle. Et, ce matin-là encore, elle était vite rentrée chez elle, ne rapportant que l'étonnement d'avoir aperçu, chez les Roubaud, pendantles trois secondes mises par le mari à ouvrir et à refermer la porte, la femme debout dans la salle à manger, la belle Séverine déjà vêtue, peignée, chaussée, elle qui d'habitude traînait au lit jusqu'à neuf heures. Aussi, madame Lebleu avait-elle réveillé Lebleu, pour lui apprendre ce fait extraordinaire. La veille, ils ne s'étaient pas couchés avant l'arrivée de l'express de Paris, à onze heures cinq, brûlant de savoir ce qu'il advenait de l'histoire du sous-préfet. Mais ils n'avaient rien pu lire dans l'attitude des Roubaud, qui étaient revenus avec leur figure de tous les jours ; et, vainement, jusqu'à minuit, ils avaient tendu l'oreille : aucun bruit ne sortait de chez leurs voisins, ceux-ci devaient s'être endormis tout de suite, d'un profond sommeil. Certainement, leur voyage n'avait pas eu un bon résultat, sans quoi Séverine n'aurait pas été levée à une pareille heure. Le caissier ayant demandé quelle mine elle faisait, sa femme s'était efforcée de la dépeindre : très raide, très pâle, avec ses grands yeux bleus, si clairs sous ses cheveux noirs ; et pas un mouvement, l'air d'une somnambule. Enfin, on saurait bien à quoi s'en tenir, dans la journée.

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