La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°439)

Chapitre III

Mais il se tut, en voyant sortir d'un hangar, contre lequel ils se trouvaient, une grande femme sèche, Philomène Sauvagnat, la sœur du chef de dépôt, l'épouse supplémentaire que Pecqueux avait au Havre, depuis un an. Tous deux devaient être à causer sous le hangar, lorsque lui s'était avancé, pour appeler le sous-chef. Elle, encore jeune malgré ses trente-deux ans, haute, anguleuse, la poitrine plate, la chair brûlée de continuels désirs, avait la tête longue, aux yeux flambants, d'une cavale maigre et hennissante. On l'accusait de boire. Tous les hommes de la gare avaient défilé chez elle, dans la petite maison que son frère occupait près du Dépôt des machines, et qu'elle tenait fort salement. Ce frère, auvergnat, têtu, très sévère sur la discipline, très estimé de ses chefs, avait eu les plus gros ennuis à son sujet, jusqu'au point d'être menacé de renvoi ; et, si maintenant on la tolérait à cause de lui, il ne s'obstinait lui-même à la garder que par esprit de famille ; ce qui ne l'empêchaitpas, lorsqu'il la surprenait avec un homme, de la rouer de coups, si rudement, qu'il la laissait sur le carreau, morte. Il y avait eu, entre elle et Pecqueux, une vraie rencontre : elle, assouvie enfin, aux bras de ce grand diable rigoleur ; lui, changé de sa femme trop grasse, heureux de celle-ci trop maigre, répétant par farce qu'il n'avait plus besoin de chercher ailleurs. Et Séverine seule, qui croyait devoir cela à Victoire, s'était brouillée avec Philomène, qu'elle évitait déjà le plus possible, par une fierté de nature, et qu'elle avait cessé de saluer.

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