La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°911)

Chapitre V

Mais leur pensée n'était point à cela. Lui, qui fuyait les femmes, venait de songer aux événements qui l'avaient rapproché de celle-ci. Elle était là, elle le touchait, elle menaçait d'envahir son existence, et il en éprouvait une continuelle surprise. Depuis le dernier interrogatoire, à Rouen, il n'en doutait plus, cette femme était complice, dans le meurtre de la Croix-de-Maufras. Comment ? à la suite de quelles circonstances ? poussée par quelle passion ou quel intérêt ? Il s'était posé ces questions, sans pouvoir clairement les résoudre. Pourtant, il avait fini par arranger une histoire : le mari intéressé, violent, ayant hâte d'entrer en possession du legs ; peut-être la peur que le testament ne fût changé à leur désavantage ; peut-être le calcul d'attacher sa femme à lui, par un lien sanglant. Et il s'en tenait à cette histoire, dont les coins obscurs l'attiraient, l'intéressaient, sansqu'il cherchât à les éclaircir. L'idée que son devoir serait de tout dire à la justice, l'avait hanté aussi. Même c'était cette idée qui le préoccupait, depuis qu'il se trouvait assis sur ce banc, près d'elle, si près, qu'il sentait contre sa hanche la tiédeur de la sienne.

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