La Conquête de Plassans

La Conquête de Plassans (paragraphe n°1599)

Chapitre XVI

Alors, l'abbé Surin lui donna obligeamment le nom et l'adresse de sa blanchisseuse, sur le revers d'une de ses cartes de visite. On causait ainsi de toilette, du temps, des récoltes, des événements de la semaine. On passait là une heure charmante. Des parties de raquettes, dans l'impasse, coupaient les conversations. L'abbé Bourrette venait très souvent, racontant de son air ravi de petites histoires de sainteté, que monsieur Maffre écoutait jusqu'au bout. Une seule fois madame Delangre s'était rencontrée avec madame Rastoil, toutes deux très polies, très cérémonieuses, gardant dans leurs yeux éteints la flamme brusque de leur ancienne rivalité. Monsieur Delangre ne se prodiguait pas. Quant aux Paloque, s'ils fréquentaient toujours la sous-préfecture, ils évitaient de se trouver là, lorsque monsieur Péqueur des Saulaies allait voisiner avec l'abbé Faujas ; la femme du juge restait perplexe, depuis son expédition malheureuse à l'oratoire de l'œuvre de la Vierge. Mais le personnage qui se montrait le plus assidu était certainement monsieur de Condamin, toujours admirablement ganté, venant là pour se moquer du monde, mentant, risquant des ordures avec un aplomb extraordinaire, s'amusant la semaine entière des intrigues qu'il avait flairées. Ce grand vieillard, si droit dans sa redingote pincée à la taille, avait la passion de la jeunesse ; il se moquait des " vieux, " s'isolait avecles demoiselles de la bande, pouffait de rire dans les coins.

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