La Conquête de Plassans

La Conquête de Plassans (paragraphe n°1691)

Chapitre XVII

Cette année-là, Marthe suivit les cérémonies religieuses de la semaine sainte avec une grande ferveur. Le vendredi, dans l'église noire, elle agonisa, pendant que les cierges, un à un, s'éteignaient sous la tempête lamentable des voix qui roulait au fond des ténèbres de la nef. Il lui semblait que son souffle s'en allait avec ces lueurs. Quand le dernier cierge expira, que le mur d'ombre, en face d'elle, fut implacable et fermé, elle s'évanouit, les flancs serrés, la poitrine vide. Elle resta une heure pliée sur sa chaise, dans l'attitude de la prière, sans que les femmes agenouillées autour d'elle s'aperçussent de cette crise. L'église était déserte, lorsqu'elle revint à elle. Elle rêvait qu'on la battait de verges, que le sang coulait de ses membres ; elle éprouvait à la tête de si intolérables douleurs qu'elle y portait les mains, comme pour arracher les épines dontelle sentait les pointes dans son crâne. Le soir, au dîner, elle fut singulière. L'ébranlement nerveux persistait ; elle revoyait, en fermant les yeux, les âmes mourantes des cierges s'envolant dans le noir ; elle examinait machinalement ses mains, cherchant les trous par lesquels son sang avait coulé. Toute la Passion saignait en elle.

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