La Conquête de Plassans

La Conquête de Plassans (paragraphe n°2190)

Chapitre XX

Ils eurent longtemps une autre épouvante. Malgré la vie grasse qu'ils menaient, bien que fournis de tout par les armoires de la propriétaire, ils étaient criblés de dettes dans le quartier. Trouche mangeait ses appointements au café ; Olympe employait à des fantaisies l'argent qu'elle tirait des poches de Marthe, en lui racontant des histoires extraordinaires. Quant aux choses nécessaires à la vie, elles étaient prises religieusement à crédit par le ménage. Une note qui les inquiéta beaucoup fut surtout celle du pâtissier de la rue de la Banne - elle montait à plus de cent francs - d'autant plus que ce pâtissier était un homme brutal qui les menaçait de tout dire à l'abbé Faujas. Les Trouche vivaient dans les transes, redoutant quelque scène épouvantable ; mais le jour où la note lui fut présentée, l'abbé Faujas paya sans discussion, oubliantmême de leur adresser des reproches. Le prêtre semblait au-dessus de ces misères ; il continuait à vivre, noir et rigide, dans cette maison livrée au pillage, sans s'apercevoir des dents féroces qui mangeaient les murs, de la ruine lente qui peu à peu faisait craquer les plafonds. Tout s'abîmait autour de lui, pendant qu'il allait droit à son rêve d'ambition. Il campait toujours en soldat dans sa grande chambre nue, ne s'accordant aucun bien-être, se fâchant quand on voulait le gâter. Depuis qu'il était le maître de Plassans, il redevenait sale : son chapeau était rouge, ses bas se crottaient ; sa soutane, reprisée chaque matin par sa mère, ressemblait à la loque lamentable, usée, blanchie, qu'il portait dans les premiers temps.

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