La Conquête de Plassans

La Conquête de Plassans (paragraphe n°803)

Chapitre IX

Le ciel était gris, l'église s'emplissait d'un lent crépuscule. Dans les bas-côtés, déjà noirs, luisaient l'étoile d'une veilleuse, le pied doré d'un chandelier, la robe d'argent d'une Vierge ; et, enfilant la grande nef, un rayon pâle se mourait sur le chêne poli des bancs et des stalles. Marthe n'avait point encore éprouvé là un tel abandon d'elle-même ; ses jambes lui semblaient comme cassées, ses mains étaient si lourdes, qu'elle les joignait sur ses genoux, pour ne pas avoir la peine de les porter. Elle se laissait aller à un sommeil, dans lequel elle continuait de voir et d'entendre, mais d'une façon très douce. Les légers bruits qui roulaient sous la voûte, la chute d'une chaise, le pas attardé d'une dévote, l'attendrissaient, prenaient une sonorité musicale qui la charmait jusqu'au cœur ; tandis que les derniers reflets du jour, les ombres, montant le long des piliers comme des housses de serge, prenaient pour elle des délicatesses de soie changeante, tout un évanouissement exquis qui la gagnait, au fond duquel elle sentait son être se fondre et mourir. Puis, tout s'éteignit autour d'elle. Elle fut parfaitement heureuse dans quelque chose d'innomé.

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