La Curée

La Curée (paragraphe n°1130)

Chapitre V

Le lendemain, quand Saccard vint chez sa femme pour lui faire signer l'acte de cession, elle lui répondittranquillement qu'elle n'en ferait rien, qu'elle avait réfléchi. D'ailleurs, elle ne se permit pas même une allusion ; elle s'était juré d'être discrète, ne voulant pas se créer des ennuis, désirant goûter en paix le renouveau de ses amours. L'affaire de Charonne s'arrangerait comme elle pourrait ; son refus de signer n'était qu'une vengeance ; elle se moquait bien du reste. Saccard fut sur le point de s'emporter. Tout son rêve croulait. Ses autres affaires allaient de mal en pis. Il se trouvait à bout de ressources, se soutenant par un miracle d'équilibre ; le matin même, il n'avait pu payer la note de son boulanger. Cela ne l'empêchait pas de préparer une fête splendide pour le jeudi de la mi-carême. Il éprouva, devant le refus de Renée, cette colère blanche d'un homme vigoureux arrêté dans son œuvre par le caprice d'un enfant. Avec l'acte de cession en poche, il comptait bien battre monnaie, en attendant l'indemnité. Puis, quand il se fut un peu calmé et qu'il eut l'intelligence nette, il s'étonna du brusque revirement de sa femme : à coup sûr, elle avait dû être conseillée. Il flaira un amant. Ce fut un pressentiment si net, qu'il courut chez sa sœur, pour l'interroger, lui demander si elle ne savait rien sur la vie cachée de Renée. Sidonie se montra très aigre. Elle ne pardonnait pas à sa belle-sœur l'affront qu'elle lui avait fait en refusant de voir monsieur de Saffré. Aussi, quand elle comprit, aux questions de son frère, que celui-ci accusait sa femme d'avoir un amant, s'écria-t-elle qu'elle en était certaine. Et elle s'offrit d'elle-même pour espionner " les tourtereaux. " Cette pimbêche verrait comme cela de quel bois elle se chauffait. Saccard, d'habitude, ne cherchait pas les vérités désagréables ; sonintérêt seul le forçait à ouvrir les yeux qu'il tenait sagement fermés. Il accepta l'offre de sa sœur.

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