La Curée

La Curée (paragraphe n°1250)

Chapitre VI

Le bal fut ouvert. On avait utilisé l'estrade des tableaux vivants, en y plaçant un petit orchestre, où lescuivres dominaient ; et les bugles, les cornets à pistons, jetaient leurs notes claires dans la forêt idéale, aux arbres bleus. Ce fut d'abord un quadrille : Ah ! il a des bottes, il a des bottes, Bastien ! qui faisait alors les délices des bastringues. Ces dames dansèrent. Les polkas, les valses, les mazurkas, alternèrent avec les quadrilles. Le large balancement des couples allait et venait, emplissait la longue galerie, sautant sous le fouet des cuivres, se balançant au bercement des violons. Les costumes, ce flot de femmes de tous les pays et de toutes les époques, roulait, avec un fourmillement, une bigarrure d'étoffes vives. Le rythme, après avoir mêlé et emporté les couleurs, dans un tohu-bohu cadencé, ramenait brusquement, à certains coups d'archet, la même tunique de satin rose, le même corsage de velours bleu, à côté du même habit noir. Puis un autre coup d'archet, une sonnerie des cornets à pistons, poussaient les couples, les faisaient voyager à la file autour du salon, avec des mouvements balancés de nacelle s'en allant à la dérive, sous un souffle de vent qui a brisé l'amarre. Et toujours, sans fin, pendant des heures. Parfois, entre deux danses, une dame s'approchait d'une fenêtre, étouffant, respirant un peu d'air glacé ; un couple se reposait sur une causeuse du petit salon bouton-d'or, ou descendait dans la serre, faisant doucement le tour des allées. Sous les berceaux de lianes, au fond de l'ombre tiède, où arrivaient les forte des cornets à pistons, dans les quadrilles d'Ohé ! les p'tits agneaux et de J'ai un pied qui r'mue, des jupes, dont on ne voyait que le bord, avaient des rires languissants.

?>