La Curée

La Curée (paragraphe n°1476)

Chapitre VII

Il était quatre heures. Le Bois s'éveillait des lourdeurs du chaud après-midi. Le long de l'avenue de l'impératrice, des fumées de poussière volaient, et l'on voyait, au loin, les nappes étalées des verdures, que bornaient les coteaux de Saint-Cloud et de Suresnes, couronnés par la grisaille du Mont-Valérien. Le soleil, haut sur l'horizon, coulait, emplissait d'une poussière d'or les creux des feuillages, allumait les branches hautes, changeait cet océan de feuilles en un océan de lumière. Mais, après les fortifications, dans l'allée du Bois qui conduit au lac, on venait d'arroser ; les voitures roulaient sur la terre brune, comme sur la laine d'une moquette, au milieu d'une fraîcheur, d'une senteur de terre mouillée qui montait. Aux deux côtés, les petits arbres des taillis enfonçaient, parmi les broussailles basses, la foule de leurs jeunes troncs, se perdant au fond d'un demi-jour verdâtre, que des coups de lumière trouaient, çà et là, de clairières jaunes ; et, à mesure qu'on approchait du lac, les chaises des trottoirs étaient plus nombreuses, des familles assises regardaient, de leur visage tranquille et silencieux, l'interminable défilé des roues. Puis, en arrivant au carrefour, devant le lac, c'était un éblouissement ; le soleil oblique faisait de la rondeur de l'eau un grand miroir d'argent poli, reflétant la face éclatante de l'astre. Les yeux battaient, on ne distinguait, à gauche, près de la rive, que la tache sombre de labarque de promenade. Les ombrelles des voitures s'inclinaient, d'un mouvement doux et uniforme, vers cette splendeur, et ne se relevaient que dans l'allée, le long de la nappe d'eau, qui, du haut de la berge, prenait alors des noirs de métal rayés par des brunissures d'or. A droite, les bouquets de conifères alignaient leurs colonnades, tiges frêles et droites, dont les flammes du ciel rougissaient le violet tendre ; à gauche, les pelouses s'étendaient, noyées de clarté, pareilles à des champs d'émeraudes, jusqu'à la dentelle lointaine de la porte de la Muette. Et, en approchant de la cascade, tandis que, d'un côté, le demi-jour des taillis recommençait, les îles, au-delà du lac, se dressaient dans l'air bleu, avec les coups de soleil de leurs rives, les ombres énergiques de leurs sapins, au pied desquels le Chalet ressemblait à un jouet d'enfant perdu au coin d'une forêt vierge. Tout le Bois frissonnait et riait sous le soleil.

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