La Curée

La Curée (paragraphe n°310)

Chapitre II

Jamais on ne sut comment madame Sidonie flaira cette bonne affaire. L'honneur des Béraud avait traîné dans son panier, avec les protêts de toutes les filles de Paris. Quand elle connut l'histoire, elle imposa presque son frère, dont la femme agonisait. La tante Elisabeth finit par croire qu'elle était l'obligée de cette dame si douce, si humble, qui se dévouait à la malheureuse Renée, jusqu'à lui choisir un mari dans sa famille. La première entrevue de la tante et de Saccard eut lieu dans l'entresol de la rue du Faubourg-Poissonnière. L'employé, qui était arrivé par la porte cochère de la rue Papillon, comprit, en voyant venir madame Aubertot par la boutique et le petit escalier, le mécanisme ingénieux des deux entrées. Il fut plein de tact et de convenance. Il traita le mariage comme une affaire, mais en homme du monde qui réglerait ses dettes de jeu. La tante Elisabeth était beaucoup plus frissonnante que lui ; elle balbutiait, elle n'osait parler des cent mille francs qu'elle avait promis. Ce fut lui qui entama le premier la question argent, de l'air d'un avoué discutant le cas d'un client. Selon lui, cent mille francs étaient un apport ridicule pour le mari de mademoiselle Renée. Il appuyait un peu sur ce mot " mademoiselle. " Monsieur Béraud Du Châtelmépriserait davantage un gendre pauvre, il l'accuserait d'avoir séduit sa fille pour sa fortune, peut-être même aurait-il l'idée de faire secrètement une enquête. Madame Aubertot, effrayée, effarée par la parole calme et polie de Saccard, perdit la tête et consentit à doubler la somme, quand il eut déclaré qu'à moins de deux cent mille francs, il n'oserait jamais demander Renée, ne voulant pas être pris pour un indigne chasseur de dot. La bonne dame partit toute troublée, ne sachant plus ce qu'elle devait penser d'un garçon qui avait de telles indignations et qui acceptait un pareil marché.

?>