La Curée

La Curée (paragraphe n°338)

Chapitre II

Le plan de fortune de l'agent voyer était simple et pratique. Maintenant qu'il avait en main plus d'argent qu'il n'en avait jamais rêvé pour commencer ses opérations, il comptait appliquer ses desseins en grand. Il connaissait son Paris sur le bout du doigt ; il savait que la pluie d'or qui en battait les murs tomberait plus dru chaque jour. Les gens habiles n'avaient qu'à ouvrir les poches. Lui s'était mis parmi les habiles, en lisant l'avenir dans les bureaux de l'Hôtel de Ville. Ses fonctions lui avaient appris ce qu'on peut voler dans l'achat et la vente des immeubles et des terrains. Il était au courant de toutes les escroqueries classiques : il savait comment on revend pour un million ce qui a coûté cinq cent mille francs ; comment on paie le droit de crocheter les caisses de l'Etat, qui sourit et ferme les yeux ; comment, en faisant passer un boulevard sur le ventre d'un vieux quartier, on jongle, aux applaudissements de toutes les dupes, avec les maisons à six étages. Et ce qui, à cette heure encore trouble, lorsque le chancre de la spéculation n'en était qu'à la période d'incubation, faisait de lui un terrible joueur, c'était qu'il en devinait plus long que ses chefs eux-mêmes sur l'avenir de moellons et de plâtre qui était réservé à Paris. Il avait tant fureté, réuni tant d'indices, qu'il aurait pu prophétiser le spectacle qu'offriraient les nouveaux quartiers en 1870. Dans les rues, parfois, ilregardait certaines maisons d'un air singulier, comme des connaissances dont le sort, connu de lui seul, le touchait profondément.

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