La Curée

La Curée (paragraphe n°361)

Chapitre II

Quand il posséda la maison, il eut l'habileté, en un mois, de la faire revendre deux fois à des prête-noms, en grossissant chaque fois le prix d'achat. Le dernier acquéreur ne la paya pas moins de trois cent mille francs. Pendant ce temps, Larsonneau, qui seul paraissait à titre de représentant des propriétaires successifs, travaillait les locataires. Il refusait impitoyablement de renouveler les baux, à moins qu'on ne consentit à des augmentations formidables de loyer. Les locataires, qui avaient vent de l'expropriation prochaine, étaient au désespoir ; ils finissaient par accepter l'augmentation, surtout lorsque Larsonneau ajoutait, d'un air conciliant, que cette augmentation serait fictive pendant les cinq premières années. Quant aux locataires qui firent les méchants, ils furent remplacés par des créatures auxquelles on donna le logement pour rien et qui signèrent tout ce qu'on voulut ; là, il y eut double bénéfice : le loyer fut augmenté, et l'indemnité réservée au locataire pour son bail dut revenir à Saccard. Madame Sidonie voulut aider son frère, en établissant dans une des boutiques du rez-de-chaussée un dépôt de pianos. Ce fut à cette occasion que Saccard et Larsonneau, pris de fièvre, allèrent un peu loin : ils inventèrent des livres de commerce, ils falsifièrent des écritures, pour établir la vente des pianos sur un chiffreénorme. Pendant plusieurs nuits, ils griffonnèrent ensemble. Ainsi travaillée, la maison tripla de valeur. Grâce au dernier acte de vente, grâce aux augmentations de loyer, aux faux locataires et au commerce de madame Sidonie, elle pouvait être estimée à cinq cent mille francs devant la commission des indemnités.

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