La Curée

La Curée (paragraphe n°382)

Chapitre II

L'hôtel Béraud, bâti vers le commencement du dix-septième siècle, était une de ces constructions carrées, noires et graves, aux étroites et hautes fenêtres, nombreuses au Marais, et qu'on loue à des pensionnats, à des fabricants d'eau de Seltz, à des entrepositaires de vins et d'alcools. Seulement, il était admirablement conservé. Sur la rue Saint-Louis-en-l'Ile, il n'avait que trois étages, des étages de quinze à vingt pieds de hauteur. Le rez-de-chaussée, plus écrasé, était percé de fenêtres garnies d'énormes barres de fer, s'enfonçant lugubrement dans la sombre épaisseur des murs, et d'une porte arrondie, presque aussi haute que large, à marteau de fonte, peinte en gros vert et garnie de clous énormes qui dessinaient des étoiles et des losanges sur les deux vantaux. Cette porte était typique, avec les bornes qui la flanquaient, renversées à demi et largement cerclées de fer. On voyait qu'anciennement on avait ménagé le lit d'un ruisseau, au milieu de la porte, entre les pentes légères du cailloutage du porche ; mais monsieur Béraud s'était décidé à boucher ce ruisseau en faisant bitumer l'entrée ; ce fut, d'ailleurs, le seul sacrifice aux architectes modernes qu'il accepta jamais. Les fenêtres des étages étaient garnies de minces rampes de fer forgé, laissant voir leurs croisées colossales à fortes boiseries brunes et à petits carreaux verdâtres. En haut, devant les mansardes, le toit s'interrompait, la gouttière continuait seule son chemin pour conduire les eaux de pluie aux tuyaux de descente. Et ce qui augmentait encore la nudité austère de la façade, c'était l'absence absolue de persiennes et de jalousies, le soleil ne venant en aucune saison sur ces pierres pâles et mélancoliques. Cette façade, avec son air vénérable, sa sévérité bourgeoise, dormait solennellement dans le recueillement du quartier, dans le silence de la rue que les voitures ne troublaient guère.

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