La Curée

La Curée (paragraphe n°385)

Chapitre II

Mais dans cette maison morte, dans ce cloître, il y avait un nid chaud et vibrant, un trou de soleil et de gaieté, un coin d'adorable enfance, de grand air, de lumière large. Il fallait monter une foule de petits escaliers, filer le long de dix à douze corridors, redescendre, remonter encore, faire un véritable voyage, et l'on arrivait enfin à une vaste chambre, à une sorte de belvédère bâti sur le toit, derrière l'hôtel, au-dessus du quai de Béthune. Elle était en plein midi. La fenêtre s'ouvrait si grande, que le ciel, avec tous ses rayons, tout son air, tout son bleu, semblait y entrer. Perchée comme un pigeonnier, elle avait de longues caisses de fleurs, une immense volière, et pas un meuble. On avait simplement étalé une natte sur le carreau. C'était la " chambre des enfants. " Dans tout l'hôtel, on la connaissait, on la désignait sous ce nom. La maison était si froide, la cour si humide, que la tante Elisabeth avait redouté pour Christine et Renée ce souffle frais qui tombait des murs ; maintes fois, elle avait grondé les gamines qui couraient sous les arcades et qui prenaient plaisir à tremper leurs petits bras dans l'eau glacée de la fontaine. Alors, l'idée lui était venue de faire disposer pour elles ce grenier perdu, le seul coin où le soleil entrât et se réjouît, solitaire, depuis bientôt deux siècles, au milieu des toiles d'araignée. Elle leur donna une natte, des oiseaux, des fleurs. Les gamines furent enthousiasmées. Pendant lesvacances, Renée vivait là, dans le bain jaune de ce bon soleil, qui semblait heureux de la toilette qu'on avait faite à sa retraite et des deux têtes blondes qu'on lui envoyait. La chambre devint un paradis, toute résonnante du chant des oiseaux et du babil des petites. On la leur avait cédée en toute propriété. Elles disaient " notre chambre " ; elles étaient chez elles ; elles allaient jusqu'à s'y enfermer à clef pour se bien prouver qu'elles en étaient les uniques maîtresses. Quel coin de bonheur ! Un massacre de joujoux râlait sur la natte, dans le soleil clair.

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