La Curée

La Curée (paragraphe n°433)

Chapitre III

Renée, qui voulait prendre au sérieux son rôle de mère et d'institutrice, était enchantée de son élève. Elle ne négligeait rien, il est vrai, pour parfaire son éducation. Elle traversait alors une heure pleine de dépit et de larmes ; un amant l'avait quittée avec scandale, aux yeux de tout Paris, pour se mettre avec la duchesse de Sternich. Elle rêva que Maxime serait sa consolation, elle se vieillit, s'ingénia pour être maternelle, et devint le mentor le plus original qu'on pût imaginer. Souvent, le tilbury de Maxime restait à la maison ; c'était Renée, avec sa grande calèche, qui venait prendre le collégien. Ils cachaient le porte-feuille marron sous la banquette, ils allaient au Bois, alors dans tout son neuf. Là, elle lui faisait un cours de haute élégance. Elle lui nommait leTout-Paris impérial, gras, heureux, encore dans l'extase de ce coup de baguette qui changeait les meurt-de-faim et les goujats de la veille en grands seigneurs, en millionnaires soufflant et se pâmant sous le poids de leur caisse. Mais l'enfant la questionnait surtout sur les femmes, et comme elle était très libre avec lui, elle lui donnait des détails précis ; madame de Guende était bête, mais admirablement faite ; la comtesse Vanska, fort riche, avait chanté dans les cours, avant de se faire épouser par un Polonais, qui la battait, disait-on ; quant à la marquise d'Espanet et à Suzanne Haffner, elles étaient inséparables, et, bien qu'elles fussent ses amies intimes, Renée ajoutait, en pinçant les lèvres, comme pour n'en pas dire davantage, qu'il courait de bien vilaines histoires sur leur compte ; la belle madame de Lauwerens était aussi horriblement compromettante, mais elle avait de si jolis yeux, et tout le monde, en somme, savait que, quant à elle, elle était irréprochable, bien qu'un peu trop mêlée aux intrigues des pauvres petites femmes qui la fréquentaient, madame Daste, madame Teissière, la baronne de Meinhold. Maxime voulut avoir le portrait de ces dames ; il en garnit un album qui resta sur la table du salon. Pour embarrasser sa belle-maman, avec cette ruse vicieuse qui était le trait dominant de son caractère, il lui demandait des détails sur les filles, en feignant de les prendre pour des femmes du vrai monde. Renée, morale et sérieuse, disait que c'étaient d'affreuses créatures et qu'il devait les éviter avec soin ; puis elle s'oubliait, elle parlait d'elles comme de personnes qu'elle eût connues intimement. Un des grands régals de l'enfant était encore de la mettre sur le chapitre de la duchesse de Sternich. Chaque fois que sa voiture passait, au Bois, à côté de laleur, il ne manquait pas de nommer la duchesse, avec une sournoiserie méchante, un regard en dessous, prouvant qu'il connaissait la dernière aventure de Renée. Celle-ci, d'une voix sèche, déchirait sa rivale ; comme elle vieillissait ! la pauvre femme ! elle se maquillait, elle avait des amants cachés au fond de toutes ses armoires, elle s'était donnée à un chambellan pour entrer dans le lit impérial. Et elle ne tarissait pas, tandis que Maxime, pour l'exaspérer, trouvait madame de Sternich délicieuse. De telles leçons développaient singulièrement l'intelligence du collégien, d'autant plus que la jeune institutrice les répétait partout, au Bois, au théâtre, dans les salons. L'élève devint très fort.

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