La Curée

La Curée (paragraphe n°455)

Chapitre III

Paris s'abîmait alors dans un nuage de plâtre. Les temps prédits par Saccard, sur les buttes Montmartre, étaient venus. On taillait la cité à coups de sabre, et il était de toutes les entailles, de toutes les blessures. Il avait des décombres à lui aux quatre coins de la ville. Rue de Rome, il fut mêlé à une étonnante histoire du trou qu'une compagnie creusa, pour transporter cinq ou six mille mètres cubes de terre et faire croire à des travaux gigantesques, et qu'on dut ensuite reboucher, en rapportant la terre de Saint-Ouen, lorsque la compagnie eut fait faillite. Lui s'en tira la conscience nette, les poches pleines, grâce à son frère Eugène, qui voulut bien intervenir. A Chaillot, il aida à éventrer la butte, à la jeter dans un bas-fond, pour faire passer le boulevard qui va de l'Arc de triomphe au pont de l'Alma. Du côté de Passy, ce fut lui qui eut l'idée de semer les déblais du Trocadéro sur le plateau, de sorte que la bonne terre se trouve aujourd'hui à deux mètres de profondeur, et que l'herbe elle-même refuse de pousser dans ces gravats. On l'auraitretrouvé sur vingt points à la fois, à tous les endroits où il y avait quelque obstacle insurmontable, un déblai dont on ne savait que faire, un remblai qu'on ne pouvait exécuter, un bon amas de terre et de plâtras où s'impatientait la hâté fébrile des ingénieurs, que lui fouillait de ses ongles, et dans lequel il finissait toujours par trouver quelque pot-de-vin ou quelque opération de sa façon. Le même jour, il courait des travaux de l'Arc de triomphe à ceux du boulevard Saint-Michel, des déblais du boulevard Malesherbes aux remblais de Chaillot, traînant avec lui une armée d'ouvriers, d'huissiers, d'actionnaires, de dupes et de fripons.

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