La Curée

La Curée (paragraphe n°463)

Chapitre III

Dans sa vie banale et mondaine, elle avait eu cependant un roman. Un jour, au crépuscule, comme elle était sortie à pied pour aller voir son père, qui n'aimait pas à sa porte le bruit des voitures, elle s'aperçut, au retour, sur le quai Saint-Paul, qu'elle était suivie par un jeune homme. Il faisait chaud ; le jour mourait avec une douceur amoureuse. Elle qu'on ne suivait qu'à cheval, dans les allées du Bois, elle trouva l'aventure piquante, elle en fut flattée comme d'un hommage nouveau, un peu brutal, mais dont la grossièreté même la chatouillait. Au lieu de rentrer chez elle, elle prit la rue du Temple, promenant son galant le long des boulevards. Cependant l'homme s'enhardit, devint si pressant, que Renée un peu interdite, perdant la tête, suivit la rue du Faubourg-Poissonnière et se réfugia dans la boutique de la sœur de son mari. L'homme entra derrière elle. Madame Sidonie sourit, parut comprendre et les laissa seuls. Et comme Renée voulait la suivre, l'inconnu la retint, lui parla avec une politesse émue, gagna son pardon. C'était un employé qui s'appelait Georges, et auquel elle ne demanda jamais son nom de famille. Elle vint le voir deux fois ; elle entrait par le magasin, il arrivait par la rue Papillon. Cet amour de rencontre, trouvé et accepté dans la rue, fut un de ses plaisirs les plus vifs. Elle y songea toujours, avec quelque honte, mais avec un singulier sourire de regret. Madame Sidonie gagna à l'aventure d'être enfin la complice de la seconde femme de son frère, un rôle qu'elle ambitionnait depuis le jour du mariage.

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