La Curée

La Curée (paragraphe n°464)

Chapitre III

Cette pauvre madame Sidonie avait eu un mécompte. Tout en maquignonnant le mariage, elle espérait épouserun peu Renée, elle aussi, en faire une de ses clientes, tirer d'elle une foule de bénéfices. Elle jugeait les femmes au coup d'œil, comme les connaisseurs jugent les chevaux. Aussi sa consternation fut grande, lorsqu'après avoir laissé un mois au ménage pour s'installer, elle comprit qu'elle arrivait déjà trop tard, en apercevant madame de Lauwerens trônant au milieu du salon. Cette dernière, belle femme de vingt-six ans, faisait métier de lancer les nouvelles venues. Elle appartenait à une très ancienne famille, était mariée à un homme de la haute finance, qui avait le tort de refuser le paiement des mémoires de modiste et de tailleur. La dame, personne fort intelligente, battait monnaie, s'entretenait elle-même. Elle avait horreur des hommes, disait-elle ; mais elle en fournissait à toutes ses amies ; il y en avait toujours un achalandage complet dans l'appartement qu'elle occupait rue de Provence, au-dessus des bureaux de son mari. On y faisait de petits goûters. On s'y rencontrait d'une façon imprévue et charmante. Il n'y avait aucun mal à une jeune fille d'aller voir sa chère madame de Lauwerens, et tant pis si le hasard amenait là des hommes, très respectueux d'ailleurs, et du meilleur monde. La maîtresse de la maison était adorable dans ses grands peignoirs de dentelle. Souvent un visiteur l'aurait choisie de préférence, en dehors de sa collection de blondes et de brunes. Mais la chronique assurait qu'elle était d'une sagesse absolue. Tout le secret de l'affaire était là. Elle conservait sa haute situation dans le monde, avait pour amis tous les hommes, gardait son orgueil de femme honnête, goûtait une secrète joie à faire tomber les autres et à tirer profit de leurs chutes. Lorsque madame Sidonie se fut expliqué le mécanisme de l'invention nouvelle, ellefut navrée. C'était l'école classique, la femme en vieille robe noire portant des billets doux au fond de son cabas, mise en face de l'école moderne, de la grande dame qui vend ses amies dans son boudoir en buvant une tasse de thé. L'école moderne triompha. Madame de Lauwerens eut un regard froid pour la toilette fripée de madame Sidonie, dans laquelle elle flaira une rivale. Et ce fut de sa main que Renée reçut son premier ennui, le jeune duc de Rozan, que la belle financière plaçait très difficilement. L'école classique ne l'emporta que plus tard, lorsque madame Sidonie prêta son entresol au caprice de sa belle-sœur pour l'inconnu du quai Saint-Paul. Elle resta sa confidente.

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