La Curée

La Curée (paragraphe n°684)

Chapitre IV

Il ne pouvait conter l'histoire qui était tout à fait jolie, mais un peu risquée. Ce fut à la fin d'un souper que Saccard et Laure d'Aurigny conclurent un traité d'alliance. Laure était criblée de dettes et ne songeait plus qu'à trouver un bon jeune homme qui voulût bien l'enlever et la conduire à Londres. Saccard, de son côté, sentait le sol s'écrouler sous lui ; son imagination aux abois cherchait un expédient qui le montrât au public vautré sur un lit d'or et de billets de banque. La fille et le spéculateur, dans la demi-ivresse du dessert, s'entendirent. Il trouva l'idée de cette vente de diamants qui fit courir tout Paris, et dans laquelle il acheta, à grand tapage, des bijoux pour sa femme. Puis, avec le produit de la vente, quatre cent mille francs environ, il parvint à satisfaire les créanciers de Laure, auxquels elle devait à peu près le double. Il est même à croire qu'il retira du jeu une partie de ses soixante-cinq mille francs. Quand on le vit liquider la situation de la d'Aurigny, il passa pour son amant, on crut qu'il payait la totalité de ses dettes, qu'il faisait des folies pour elle. Toutes les mains se tendirent vers lui, le crédit revint, formidable. Et on le plaisantait, à la Bourse, sur sa passion, avec des sourires, des allusions, qui le ravissaient. Pendant ce temps, Laure d'Aurigny, mise à vue par ce vacarme, et chez laquelle il ne passa seulement pas une nuit, feignait de le tromper avec huit à dix imbéciles alléchés par l'idée de la voler à un homme si colossalement riche. En un mois, elle eut deuxmobiliers et plus de diamants qu'elle n'en avait vendus. Saccard avait pris l'habitude d'aller fumer un cigare chez elle, l'après-midi, au sortir de la Bourse ; souvent il apercevait des coins de redingote qui fuyaient, effarouchés, entre les portes. Quand ils étaient seuls, ils ne pouvaient se regarder sans rire. Il la baisait au front, comme une fille perverse dont la coquinerie l'enthousiasmait. Il ne lui donnait pas un sou, et même une fois elle lui prêta de l'argent, pour une dette de jeu.

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