La Curée

La Curée (paragraphe n°739)

Chapitre IV

Le lendemain, au bal du ministère, la belle madame Saccard fut merveilleuse. Worms avait accepté l'acompte de cinquante mille francs ; elle sortait de cet embarras d'argent, avec des rires de convalescente. Quand elle traversa les salons, dans sa grande robe de faille rose à longue traîne Louis XIV, encadrée de hautes dentelles blanches, il y eut un murmure, les hommes se bousculèrent pour la voir. Et les intimes s'inclinaient, avec un discret sourire d'intelligence, rendant hommage à ces belles épaules, si connues du Tout-Paris officiel, et qui étaient les fermes colonnes de l'Empire. Elle s'était décolletée avec un tel mépris des regards, elle marchait si calme et si tendre dans sa nudité, que cela n'était presque plus indécent. Eugène Rougon, le grand homme politique, qui sentait cette gorge nue plus éloquente encore que sa parole à la Chambre, plus douce et plus persuasive pour faire goûter les charmes du règne et convaincre les sceptiques, alla complimenter sa belle-sœur sur son heureux coup d'audace d'avoir échancré son corsage de deux doigts de plus. Presque tout le Corps législatif était là, et à la façon dont les députés regardaient la jeune femme, le ministre se promettait un beau succès, le lendemain, dans la question délicate desemprunts de la Ville de Paris. On ne pouvait voter contre un pouvoir qui faisait pousser, dans le terreau des millions, une fleur comme cette Renée, une si étrange fleur de volupté, à la chair de soie, aux nudités de statue, vivante jouissance qui laissait derrière elle une odeur de plaisir tiède. Mais ce qui fit chuchoter le bal entier, ce fut la rivière et l'aigrette. Les hommes reconnaissaient les bijoux. Les femmes se les désignaient du regard, furtivement. On ne parla que de ça toute la soirée. Et les salons allongeaient leur enfilade, dans la lumière blanche des lustres, emplis d'une cohue resplendissante, comme un fouillis d'astres tombés dans un coin trop étroit.

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