La Curée

La Curée (paragraphe n°748)

Chapitre IV

Elle passa dans son cabinet de toilette. Maxime la suivit, pour lui raconter un nouveau mot de Louise qui lui revenait à la mémoire, tranquille comme s'il se fût attardé chez un ami, cherchant déjà son porte-cigares pour allumer un havane. Mais là, lorsqu'elle eut posé le candélabre, elle se tourna et tomba dans les bras du jeune homme, muette et inquiétante, collant sa bouche sur sa bouche.L'appartement particulier de Renée était un nid de soie et de dentelle, une merveille de luxe coquet. Un boudoir très petit précédait la chambre à coucher. Les deux pièces n'en faisaient qu'une, ou du moins le boudoir n'était guère que le seuil de la chambre, une grande alcôve, garnie de chaises longues, sans porte pleine, fermée par une double portière. Les murs, dans l'une et l'autre pièce se trouvaient également tendus d'une étoffe de soie mate gris de lin, brochée d'énormes bouquets de roses, de lilas blancs et de boutons-d'or. Les rideaux et les portières étaient en guipure de Venise, posée sur une doublure de soie, faite de bandes alternativement grises et roses. Dans la chambre à coucher, la cheminée en marbre blanc, un véritable joyau, étalait, comme une corbeille de fleurs, ses incrustations de lapis et de mosaïques précieuses, reproduisant les roses, les lilas blancs et les boutons-d'or de la tenture. Un grand lit gris et rose, dont on ne voyait pas le bois recouvert d'étoffe et capitonné, et dont le chevet s'appuyait au mur, emplissait toute une moitié de la chambre avec son flot de draperies, ses guipures et sa soie brochée de bouquets, tombant du plafond jusqu'au tapis. On aurait dit une toilette de femme, arrondie, découpée, accompagnée de poufs, de nœuds, de volants ; et ce large rideau qui se gonflait, pareil à une jupe, faisait rêver à quelque grande amoureuse, penchée, se pâmant, près de choir sur les oreillers. Sous les rideaux, c'était un sanctuaire, des batistes plissées à petits plis, une neige de dentelles, toutes sortes de choses délicates et transparentes, qui se noyaient dans un demi-jour religieux. A côté du lit, de ce monument dont l'ampleur dévote rappelait une chapelle ornée pour quelque fête, les autres meublesdisparaissaient : des sièges bas, une psyché de deux mètres, des meubles pourvus d'une infinité de tiroirs. A terre, le tapis, d'un gris bleuâtre, était semé de roses pâles effeuillées. Et, aux deux côtés du lit, il y avait deux grandes peaux d'ours noir, garnies de velours rose, aux ongles d'argent, et dont les têtes, tournées vers la fenêtre, regardaient fixement le ciel vide de leurs yeux de verre.

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